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Vol.1 / Issue 2

Voyage à travers le Grand Verre

Avec le premier cinéma-vidéo du Grand Verre sur le web

par Jean Suquet

 

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La brochure.
Voyage à travers le Grand Verre
par Jean Suquet,
Centre Georges Pompidou, 24 octobre 1995 - 12 février 1996
Cliquez ici pour le Grand Verre, un film de Dominique Lambert.

 

Une diapositive du Grand Verre
est projetée sur le mur blanc
d'une chambre sous les toits.
A droite, un porte se devine.
Fermée.
Le narrateur entre dans le cône
de projection et, devenu la proie
des ombres portées,
il leur transfuse son souffle.
Duchamp a laissé le Grand Verre
aux trois quarts transparent pour
qu'en filigrane de la machinerie
extravagante qui bat la parade
au premier plan on puisse lire
un poëme.
Sans les mots, pas de moteur.
Crépite avec le titre le premier
allumage : La Mariée mis à nu
par ses célibataires, même
.
Au ciel, la Mariée.
A terre, les célibataires.
Entre eux, la ligne d'horizon.
Elle est, dit Duchamp, le vêtement
de la Mariée.
Malheureux célibataires qui rêvent
de mise à nu!
Ils portent dans leur propre regard
le voile qu'ils brûlent de dégrafer.
La ligne d'horizon est une limite
imaginaire qui recule à mesure
qu'on avance vers elle. Fatale
dérobade dont les célibataires vont
devoir se désensorceler.
Rejoignons les neuf bonshommes
rouges qui nous ressemblent
comme des frères. Ficelés dans
des uniformes étriqués, cloués au
sol par leurs semelles de plomb,
ils n'en sont pas moins mis en émoi
par une échappée de gaz
d'éclairage qui, en 1912, était le
sang des lumières de la ville.
Cet esprit s'élance dans un voyage
qui le fait passer par tous les états
de la matière. Solidifié, liquéfié en
une flaque, il erre jusqu'à ce qu'un
poids tombé on ne sait d'où le fasse
rejaillir en éclaboussures.
Il explose.
Il déclare sa flamme.
Il s'éblouit de sa propre lumière
qu'un jeu de miroirs projette vers
le ciel.
Au ciel, la Mariée est nue dans tous
les sens du mot. Elle-même dénoue
son vêtement qui tombe à ses pieds
et s'arrondit autour du monde.
Elle échappe à tout contour, récuse
toute représentation.

Sur le Grand Verre on ne voit d'elle qu'un hiéroglyphe difficile à
déchiffrer tant qu'on n'y reconnaît
pas la chrysalide déchiquetée d'une
reine des abeilles que le vol nuptial
a évaporée dans les nuages.
Cette reine est vivante. Son pouls
bat. De beaux temps en tempêtes
elle s'épanouit en une voie lactée
chair
. Et la chair se fait verbe.
Des lettres emportées par le vent
portent aux célibataires ordres et
autorisations.
Et oui! dans le Grand Verre, c'est
la feme qui dicte la loi. Comment
fait-elle descendre jusqu'à terre son
bon vouloir?
Grâce à un deus ex machina qui
noue le lien entre le haut et le bas.
Duchamp l'a personnifié par un
guéridon. Le dieu frappe à la porte
sous les haillons du vagabond.
La déesse s'habille en putain et
en fait croustiller à lèvres chaudes
le vocabulaire.
Ce dernier invité à la noce
se nomme : Le Soigneur de gravité.
Médecin dissipé dans
la transparence non seulement
il s'active pour que la pesante
heure soit délivrée de la pesanteur
mais il donne à qui sait l'entendre
son remède: guéris donc!
Et si tu es gai, ris donc! Guérir la
gravité, c'est rire.
Voilà, résumé à grandes enjambées,
le conte de fée des temps modernes
qui raconte comment le voyage
de gaz d'éclairage se termine dans
l'éblouissement.
Comment l'envolée de la Mariée
la conduit à l'épanouissement.
Avec pour moteur, la jouissance.
Au cœur de ces trois mots,
à condition de n'avoir pas perdu
l'innocence de chercher l'or dans
l'oreille, il y a le mot de la fin:
OUI.
Le narrateur retraverse les ombres
portées, pousse la porte, et sort.
C'est à dire qu'il ENTRE dans
le Grand Verre.
Dans le rectangle noir où DANSE
le Soigneur de gravité, à hauteur
de l'horizon, un bras nu de femme
brandit un bec Auer.
Allumé.

 

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